Les imprévus et les changements
Bonjour à tous! Aujourd’hui, tel que mentionné dans mon deuxième article, je vous parle de ma façon d’agir face aux imprévus et aux changements. Bien sûr, chaque personne autiste a sa façon d’agir! Je vais vous expliquer comment j’ai vécu les changements par ordre chronologique jusqu’à aujourd’hui.
Lorsque j’étais un très jeune enfant, si je portais un nouveau pyjama, je ne me reconnaissais plus. Je disais même que je ressemblais à quelqu’un d’autre. Mon cerveau disait aux fonctions de mon corps : « Remettez-moi le même pyjama que d’habitude, ça presse!». Aussi, lorsqu’on allait faire nos achats et qu’il y avait un arrêt qui n’était pas prévu, je n’étais plus disponible pour continuer. Également, si mon émission favorite était changée d’heure, je pouvais lire et relire le guide de télévision intensément pour mieux intégrer le changement.
Cela m’amène à parler de la prévisibilité. Quand j’étais un jeune enfant, les solutions qui m’aidaient étaient d’utiliser des pictogrammes car je comprends beaucoup plus facilement par le visuel que par l’auditif. De plus, un horaire visuel détaillé de ma journée m’aidait beaucoup à connaître les activités à l’avance. Aussi, lorsqu’il y avait un changement dans l’horaire, il y avait un pictogramme «point d’interrogation» au moment où le changement allait survenir et on m’expliquait le changement avec du visuel.
Lorsque j’allais à l’école, je prenais l’autobus #308. Un matin, j’ai aperçu que c’était un nouvel autobus et qu’il n’avait pas de numéro. J’avais « les deux pieds dans la colle». Je vous explique : Je restais sur place et je ne voulais pas embarquer dans l’autobus. Cette nouvelle image ne correspondait pas à celle que j’avais dans ma mémoire. Cela créait un non-sens et me rendait anxieux. Lorsque j’ai finalement réussi à y entrer, j’ai remarqué que les sièges étaient plus hauts. J’ai pris du temps à m’asseoir car ce n’était pas comme à l’habitude. Un autre non-sens dans mon cerveau. Finalement, j’ai réussi à faire le trajet. Par contre, après l’école, quand je suis revenu à la maison, j’étais à 10 sur 10 sur mon thermomètre de la colère. Je ne comprenais pas pourquoi l’autobus du matin était différent! Je dois vous préciser que je me repérais beaucoup par les numéros des autobus scolaires et par les numéros de portes des locaux dans l’école (c’est toujours comme ça pour moi aujourd’hui). Aussi, lorsque l’on faisait un trajet différent avec des détours pour aller à l’école, le soir à la maison, je vivais les mêmes sentiments de colère car je ne comprenais pas pourquoi ces détours avaient été faits et pourquoi ce trajet différent devait-il avoir lieu.
Autre situation, lorsque je revenais de l’école et qu’il y avait un nouveau cadre dans la maison tel que ma photo scolaire, je le remarquais tout de suite, et cela me rendait anxieux. Ce qui m’aide lorsqu’il y a un changement physique dans un lieu c’est de m’en avertir à l’avance et de le faire en ma présence. Cela peut être même pour un changement positif comme les décorations pour les fêtes de l’année (c’est un intérêt pour moi).
Ce qui m’aidait à l’école pour les changements d’horaire ou de personnel, c’était que l’on m’avertisse à l’avance par écrit. Par contre, je ne devais pas voir trop de feuilles de changements à la fois sur mon pupitre car je devenais aussi anxieux. Pourquoi une feuille? Parce qu’une feuille, ça ne change pas. Tu n’as pas à gérer le visage, le ton de la voix, les expressions faciales, les émotions de l’autre, etc. Tandis qu’une personne, tu as tous ces éléments à gérer.
Manu explique: « Thomas comme plusieurs personnes ayant un TSA maîtrise difficilement la « Théorie de l’esprit ». Plus clairement, cette théorie nous permet de décoder les intentions et les émotions des autres et même de réussir à nous mettre à leur place. La théorie de l’esprit est entre autre responsable de l’empathie. C’est pour cette raison que plusieurs racontent (à tort!) que les autistes n’ont pas ou peu d’empathie. Ils ont de la difficulté à saisir les émotions des autres. Puisque le visage transmet énormément de ce type d’informations, il est donc souvent très difficile pour un autiste de regarder dans les yeux… et on ne devrait pas les obliger à le faire d’ailleurs. Les yeux, les sourcils et le front sont les éléments du visage qui transmettent le plus de ces informations. Surtout en bas âge, demandez-leur de regarder la bouche à la limite… celle-ci a beaucoup plus de valeur. Elle concrétise le son. »
Le soir à la maison, j’intégrais toutes les informations en reproduisant toute la scène vécue dans ma journée avec mes autobus et mon école jouet. Je devais également répéter plusieurs fois les mêmes mots (écholalie) avant d’être capable de faire une autre action. L’imprévisibilité étant difficile à gérer pour une personne autiste, c’était difficile de me ramener après avoir su qu’il y avait un changement anxiogène qui approchait!
L’écholalie selon Manu : « Tous les enfants apprennent et développent leur langage avec l’écholalie. Pensez notamment à aux premiers « papa » ou « maman » qui sont répétés par les enfants à plusieurs reprises et encouragés par les parents. Chez les personnes autistes, l’écholalie a aussi une autre fonction : celle de traitement de l’information. Il n’est donc pas rare qu’une personne TSA répète le même mot ou la même phrase afin de les aider à trouver une solution ou pour intégrer une nouvelle information. Si je reviens à mon exemple de disque dur et d’ordinateur du blogue précédent, imaginez le petit cercle qui tourne pendant que vous ouvrer un fichier ou un programme… Et, entre vous et moi, on le fait aussi tous. Réfléchissez à toutes les fois où pour réfléchir à une question qui vous est posée, vous vous la répétez à voix haute ou dans votre tête? »
Voici d’autres exemples vécus sur l’heure du dîner à l’école qui peuvent vous paraître banals mais pour moi étaient très difficiles à gérer. Par exemple, dans la cafétéria, je m’étais aperçu que les tables avaient été reculées; ma principale préoccupation était de savoir si je pouvais quand-même manger à côté de mon amie. Un autre midi, je m’étais aperçu qu’une nouvelle affiche avait été ajoutée pour le respect des règles; cela venait me déranger car ce n’était pas comme à l’habitude et un autre midi, j’ai changé de groupe et de responsable; cela m’a rendu aussi très nerveux. C’était tous de gros changements pour moi! Le jour, à l’école, je pouvais me contenir, mais lorsque j’arrivais à la maison, j’explosais comme un volcan à cause des changements.
J’avais également de la difficulté à reconnaître une personne si elle avait un changement physique sur elle (par exemple le changement de coiffure, le port d’une casquette,…). Je dois vous dire que lorsque je vois une personne une première fois, je la photographie avec mes yeux et je conserve l’image dans mon cerveau. Alors, si la personne a un petit changement physique sur elle, je ne la reconnais plus, car ce n’est pas l’image que j’ai d’elle. (Aujourd’hui, j’ai encore cette difficulté). Également, je ne comprenais pas que je pouvais voir une personne que je connaissais dans un autre lieu que d’habitude comme par exemple : le personnel de l’école à l’épicerie car l’image de cette personne dans ma tête était : « je vois habituellement cette personne à l’école et non à l’épicerie ». Cela ne fonctionnait pas pour moi! (Aujourd’hui, je n’ai plus ce problème-là!)
L’outil « Avant / Maintenant » (qui est visuel) m’aidait beaucoup à comprendre les transitions, par exemple :
L’outil « Maintenant / Après » m’aidait également beaucoup:
Maintenant que je suis adolescent, lorsque je vis des changements (qu’ils soient positifs ou négatifs), j’intègre la nouvelle information par l’écriture. Je peux écrire beaucoup le soir, après avoir vécu le changement, et ce, intensément. Je peux même encore répéter des mots en lien avec le changement, car je fais encore un peu d’écholalie et cela m’aide encore plus à intégrer le changement.
Ce qui m’aide encore quand je vis un changement important (comme un changement d’école ou de classe), c’est de « scanner» les lieux. Je vous explique : « scanner» les lieux pour moi, c’est prendre des photos avec mes yeux du lieu et de toutes les petites choses que je trouve importantes de garder en mémoire (par exemple : mon pupitre, le tableau blanc interactif, les fenêtres, les toiles, les ordinateurs, le bureau de l’enseignante, la couleur des murs, la couleur et les motifs du plancher,…). Je dois également rencontrer à l’avance le nouveau professeur et la nouvelle éducatrice pour que je conserve leur image dans mon cerveau.
Je dois vous dire une chose; même si je sais lire et même si je comprends les mots, lorsqu’on m’explique quelque chose sous forme de visuel (dessins, pictogrammes, séquences), je comprends encore mieux! Le visuel restera toujours un très bon outil pour moi qui fonctionnera toujours.
Pour moi, le plus difficile de tous les imprévus sont les pannes et petites interruptions d’électricité car ceux-ci sont imprévisibles; tous les appareils s’arrêtent en même temps, toutes les lumières se ferment en même temps et de plus, cela peut arriver à n’importe quel moment dans la journée! Alors à ce moment-là, j’essaie de m’occuper du mieux que je peux, mais cet imprévu n’est vraiment pas facile pour moi.
Aujourd’hui, je gère mieux les changements que lorsque j’étais plus jeune mais cela reste toujours un défi pour moi étant donné que l’imprévisibilité existe encore et que l’on ne peut pas la contrôler.
Permettez-moi de vous donner une suggestion pour les changements : si une personne neurotypique ne peut pas annoncer un changement à une personne autiste (par exemple parce qu’elle ne savait pas qu’il allait arriver un changement), la personne neurotypique doit laisser le temps à la personne autiste d’intégrer la nouvelle information et elle devra également comprendre que la personne autiste pourra être anxieuse et fatiguée car il y aura à ce moment-là beaucoup de choses à gérer pour elle.
L’explication de Manu : « Laissez-lui le temps!! Ne surchargez pas son cerveau de 1001 explications ou informations à ce moment. Bien que vous serez bien intentionné, cette surcharge d’informations augmentera le délai de traitement de l’information et possiblement aussi l’anxiété que cet imprévu aura créé. On ne peut prévoir l’imprévisible alors n’ajoutez pas plus d’éléments à traiter Dernier petit conseil pour le moment : Diminuez aussi le « flux sensoriel », ça aidera! Plusieurs autistes « fonctionnent un sens à la fois »… Plus il y en aura d’impliqué, plus la charge sera difficile à gérer et plus long le traitement de l’information sera. »
Lorsqu’il y a un changement, la personne autiste ne peut plus faire ce qu’elle a à faire contrairement à la personne neurotypique qui pourra quand-même car la différence d’intégration de l’information se fait plus lentement chez la personne autiste et les informations de celle-ci sont classées par groupes d’images. Aussi, lorsqu’il y a un changement de personnel, même si la nouvelle personne est très douce et très gentille et qu’on la présente à la personne autiste, cela reste quand-même un changement à gérer et cela va prendre un certain temps à la personne autiste avant que le tout soit intégré.
J’espère que ce troisième article vous en a appris un peu plus sur comment je gère les changements. Dans le prochain article, je vous parlerai de l’un de mes rêves en tant que personne autiste. Je vous souhaite une excellente journée et je vous remercie énormément de me lire! À la prochaine!
Thomas
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