Bonjour à vous, chers lecteurs!

Dans l’article d’aujourd’hui, vous découvrirez comment mes sens fonctionnent. En tant que personne autiste, mes sens ne fonctionnent pas tout à fait comme les vôtres. Oui, j’ai les mêmes sens qu’une personne neurotypique, mais certains de mes sens sont plus hyper stimulés tandis que chez d’autres personnes autistes leurs sens sont hypo stimulés. Il est à noter que je parlerai de mes sens principaux, c’est-à-dire ceux que j’ai eu le plus de difficulté à travailler. Alors, plongez-vous dans votre lecture pour en savoir plus!

La vue

Je suis une personne très visuelle et je remarque les moindres petits détails et j’observe beaucoup de choses dans une journée.

Je dois aussi vous faire part que je comprends beaucoup mieux les situations qui me sont difficiles à gérer (par exemple, les changements) par le visuel que par l’auditif. De simples petits dessins, des pictogrammes, des séquences, des scénarios sociaux m’aident énormément à comprendre ce que je ne comprends pas en tant que personne présentant un TSA (trouble du spectre de l’autisme).  De plus, la personne qui explique n’a pas besoin d’être un artiste pour me faire des dessins car même les plus simples dessins feront toute la différence pour moi.

Manu explique : En ce sens, évitez les couleurs et les surplus de détails dans vos pictogrammes. Allez droit au but. Inutile de mettre un soleil, de beaux vêtements colorés ou autres. Ces détails pourraient entraîner une mauvaise compréhension de votre message. Puisque plusieurs autistes apprennent mieux « dans le mouvement », dessiner le picto devant la personne en expliquant ce que vous dessinez simplement peut aussi grandement aider.

Ne sous-estimez pas le « pouvoir » des pictos même si vous croyez que la personne autiste près de vous comprend bien le verbal. Le visuel a un grand pouvoir!

Les situations de la vie (école, maison, vacances, camp de jour, fêtes de l’année, saisons, etc) et même les catégories d’objets dans la cuisine, le salon, la salle de bain, la salle de lavage, la chambres à coucher, etc sont classées par images dans ma tête, un peu comme dans des tiroirs dans lesquels les papiers sont classés. Lorsque j’ai besoin de quelque chose dans l’une de mes catégories d’images, je vais chercher l’image correspondante dans le bon tiroir de mon cerveau et je l’emporte jusqu’à ma compréhension.  Parfois, les images ont besoin d’être changées de place dans ma tête. Je vous donne un simple exemple: lorsque Noël est terminé, je dois changer les images pour celles du Jour de l’An.

Je vais vous expliquer, comment je vais chercher les informations.  Imaginez-vous une voiture. Cette même voiture transporte les images aux bons tiroirs dans mon cerveau. Quand j’aurai à nouveau besoin de ces images, la voiture n’aura qu’à retourner les chercher et à les rapporter à ma compréhension. (N’oubliez pas que je viens de vous expliquer de façon imagée!)

Lorsque j’étais jeune et que je n’avais pas compris ce qu’on m’expliquait parce qu’il n’y avait pas de visuel et qu’il y avait trop de mots, je pouvais seulement l’expliquer d’une manière imagée, comme par exemple: «Les images viennent de rentrer dans mes oreilles, et tout à coup, pouf!   Une grosse porte empêche les images de passer, mes oreilles sont bloquées.  Les images tourbillonnent dans les airs et tombent par terre. »  J’étais à ce moment-là trop jeune pour expliquer que je ne comprenais pas.

Je dois également vous raconter quelque chose… Lorsque j’étais un jeune enfant, je décrivais la photo de mon premier achigan que j’avais pêché de la manière suivante: « Je vois la bouche, l’œil, le corps, les nageoires, la queue et les écailles.  Quand la photo entre dans mon cerveau, je vois juste l’œil.  C’est comme si le reste de l’achigan est tout barbouillé. »  À ce moment-là, je voyais l’animal en morceaux d’une façon précise et détaillée. Un morceau à la fois. Également, avec mon appareil-photo jouet, je photographiais le visage des personnes par morceau : la bouche, le nez, l’œil, l’oreille, etc.  Je vous explique : je n’avais pas un problème de vision, c’était simplement une façon précise et détaillée de voir les choses.  Aujourd’hui, je vois l’ensemble des choses.

Manu explique : On appelle ceci « la cohérence centrale ». Être en mesure de voir l’ensemble et non seulement les détails. D’être en mesure de combiner ces détails pour former le tout. Ne pas voir seulement l’arbre devant nous, mais la forêt qu’il y a derrière cet arbre. Placez 4 personnes non-voyantes qui ne savent ce que c’est un éléphant et demandez-leur de toucher seulement la partie de l’animal devant elles. Elles auront chacune d’entre elles une définition différente de ce qu’est un éléphant et n’auront pas accès à la totalité de ce que l’animal représente vraiment. C’est un peu pareil pour plusieurs personnes autistes qui doivent apprendre qu’un éléphant n’est pas seulement une trompe, une défense, etc.

De plus, lorsque je voyais des grandes affiches à l’école, je disais encore une fois de façon imagée que «mes piles se déchargeaient». Aussitôt que j’avais des pictogrammes, je disais que «mes piles se rechargeaient.»   Je vous explique : je comprends mieux avec les pictogrammes car ceux-ci sont plus petits donc ils correspondent mieux à ma façon précise et détaillée de voir les choses.

Pour que je comprenne plus facilement ce que les autres personnes disaient, je ne les regardais pas dans les yeux. Je regardais plutôt leur bouche bouger. Cela faisait du sens pour moi. Par contre, aujourd’hui, je suis capable de regarder le visage de la personne.

Manu explique : Comme expliqué dans un des blogues précédents, la bouche est génératrice du son, elle a un sens et une fonction claire. Plusieurs autistes « regarderont » ainsi le son sortir du mouvement des lèvres. En plus, les yeux, les sourcils et le front ajoutent souvent des émotions aux mots prononcés. Les personnes présentant un TSA tenteront alors en plus de décortiquer le « second message » en se demandant « pourquoi le front est plissé ainsi, pourquoi les sourcils maintenant forment un « V », pourquoi y a-t-il une larme à cet œil, que dois-je comprendre? » Vous comprendrez qu’en se posant cette multitude de questions pour comprendre ce non-verbal, plusieurs d’entre eux auront été sourds à vos mots. Il est donc beaucoup plus simple de demander à une personne autiste de regarder vos lèvres… ou même le plancher si cette personne préfère. Du moment où vous savez qu’elle vous écoute, elle n’a nullement besoin de vous regarder.

L’ouïe

Pour moi, c’est le sens le plus difficile à gérer. Dans les fêtes que je trouve trop bruyantes, j’entends tous les moindres petits bruits : les personnes qui parlent et la musique (je la trouve généralement trop forte). Tous ces bruits peuvent sembler anodins pour une personne neurotypique, mais cela ne l’est pas pour une personne autiste comme moi car ils m’empêchent de bien fonctionner.  Jeune enfant, je portais très souvent des coquilles quand j’écoutais un spectacle à l’école et des bouchons lorsque j’allais dans une piscine intérieure.

Je vais d’ailleurs vous présenter mon échelle de bruits par catégorie; elle explique tous les bruits qui me dérangeaient lorsque j’étais petit (et ils me dérangent encore parfois).

Bruits moyens :

Les élèves qui écrivaient dans leurs cahiers dans ma classe.  (Oui! C’est bien vrai!  J’ai l’ouïe très développée, alors, j’entendais même cela!)

Le réfrigérateur

L’épicerie et les magasins.

Bruits élevés :

Les piscines intérieures, l’aréna, le gymnase, l’auditorium et la cafétéria. (Plus jeune, l’effet cacophonique de la cafétéria me dérangeait, maintenant, cela ne me dérange plus).

Les personnes qui parlent en même temps et certains tons de voix.

La tondeuse à gazon et les outils.

La mixette (mélangeur électrique), la hotte, le distributeur d’eau, le séchoir à cheveux et les séchoirs à mains.

Les mouches et les chiens qui jappent.

Une voiture ou un autobus qui démarre, les klaxons, la sirène des camions de pompiers, des ambulances et des voitures de police.

Les DVD en classe et la musique forte.

Le goût

Très jeune, la mastication des aliments pour moi a été très difficile. Pendant un an, je l’ai travaillé avec une éducatrice de la garderie qui décortiquait mon assiette avec moi.  Elle me demandait de lui dire quels aliments étaient mous et quels aliments je devais croquer.  Également, elle me montrait d’une façon visuelle avec une marionnette (M. Crocodile) ce que voulait dire croquer avec les dents du fond.

De plus, j’avais beaucoup de rigidités alimentaires et de défenses sensorielles dans ma bouche.  Donc, cela me limitait beaucoup dans mes repas.  J’avais de la difficulté avec certaines textures alimentaires dont les « fils » de fromage fondu et les « fils » de bœuf en cubes, les « graines » de muffins et les « graines » de gâteaux car je n’appréciais pas la sensation de ces desserts sur ma langue, je trouvais cela trop sec, les boissons pétillantes car la sensation que cela me faisait sur ma langue était beaucoup trop forte et le pétillant restait longtemps dans ma bouche.

Manu explique : Pour certains autistes qui sont hypersensibles, elles ressentent leurs aliments tout au long de son parcours dans le tube digestif. Imaginez donc un élément qui vous laissent l’impression d’une aiguille de cactus et que vous le sentiez d’abord sur votre langue, puis glissez dans votre gorge puis entamer son voyage dans votre tube digestif vous piquant chaque fois comme une aiguille de cactus pourrait le faire sur votre doigt. Gageons que vous ne supporteriez pas non plus cet aliment!

Aussi, je mange de façon compartimentée : si par exemple je mange de la viande, je ne touche pas aux patates avant d’avoir terminé ma viande. Même chose pour les légumes dans l’assiette. C’est d’ailleurs pour cela que j’utilise une assiette compartimentée à la maison.

Manu explique: Plusieurs éléments peuvent expliquer cette « rigidité ». Pour certains, un steak avec une patate, n’est plus l’image qu’ils ont de ce qu’est un steak. Pour d’autre, les 2 saveurs en même temps créeront beaucoup de « conflits » dans leur connaissance et reconnaissance de ce que c’est. Pour d’autres, manger 2 éléments en même temps enlèvera toute saveur aux 2 aliments, etc.

Le toucher

Voici quelques exemples : lorsque j’étais très jeune, je n’étais même pas capable de tolérer une boule de pâte à modeler dans ma main.  La sensation m’était insupportable!  Je n’étais pas capable non plus de faire de la peinture aux doigts.  Aujourd’hui, je tolère très bien la pâte à modeler et je tolère mieux la peinture aux doigts.

J’ai encore de la difficulté à donner la main dans des situations, comme par exemple dans un jeu en éducation physique.  C’est la température de la peau de la main (si elle est trop chaude, trop froide ou même trop tiède) qui me dérange énormément.

Manu explique : Pour plusieurs autistes et pour la plupart en début de parcours (et je ne parle pas d’âge ici), ils fonctionnent « un sens à la fois ». On ne s’en rend pas compte toujours, mais pour nous, neurotypiques que nous sommes, nous en utilisons plusieurs en même temps. Peut-être qu’en ce moment même vous me lisez en mangeant quelque chose, pendant que de la musique ou la télé est en trame de fond tout en caressant votre chat… Nous faisons cela quotidiennement sans aucun problème en oubliant un peu ce que nous faisons, en faisant abstraction du goût de ce nous grignotons, en n’écoutant pas nécessairement ce que l’on entend, etc. Un autiste doit souvent « connecter » ces sens un à la fois. Et souvent en « déconnecter » un pour en « connecter » un autre et ainsi passer d’un sens à l’autre. Mettre la main sur l’épaule d’un autiste en lui parlant peut-être extrêmement agressant pour lui. Cette main peut être un véritable « coup de couteau » et un frein à la compréhension qu’il aura de ce que vous avez à lui dire.

Je nomme souvent dans mes articles que j’ai besoin d’images et de visuel pour comprendre les mots.  Alors, dans le prochain article, je vous parlerai de la communication.

Je vous souhaite une belle journée et à la prochaine!

Thomas

Les 7 et non les 5 sens…

Complément d’informations de Manu : Thomas a parlé des 4 sens avec lesquels il a eu de la difficulté. Plusieurs autistes ont également l’odorat comme défi… ou au contraire hypersensible. Certains d’entre eux viendront blottir leur nez contre vous afin de bien vous reconnaître. Parlant de reconnaître… Thomas vous expliquait plus haut à quel point les images sont classées dans son cerveau, à quel point les repères visuels sont importants. Imaginez un instant à quel point il peut être difficile pour un autiste de voir son professeur un jour puis le revoir le lendemain sans ses lunettes, maintenant sans barbe et avec une nouvelle coupe de cheveux… ça peut être totalement déstabilisant pour un autiste qui aura pour plusieurs minutes à déconstruire une image de quelqu’un pour la remplacer par cette nouvelle image… et ce, dans tous les « classeurs » que ce professeur pouvait bien exister ».

Oui oui, vous aviez bien lu. On parle maintenant de 7 sens et non les 5 que nous connaissons depuis notre tout jeune âge. À l’odorat, à l’ouïe, au touche, au goût et à la vue, nous ajoutons maintenant la proprioception et le vestibulaire. Et ce sont justement 2 sens extrêmement importants et qui causent des défis à plusieurs autistes. Pour nous neurotypiques, ils sont innés. Pour les autistes, ces 2 sens doivent s’acquérir, se développer. Sans trop entrer dans les explications techniques et détaillées et afin de vulgariser au maximum, je dirais que la proprioception est la conscience du corps que nous avons. De comprendre que mes doigts sont la finalité de ma main qui elle est liée à mon bras attaché lui-même à mon épaule et que j’ai le contrôle de tout ceci. Ça représente donc un défi pour un autiste de comprendre cette enveloppe qu’est notre corps et le contrôle qu’il a sur cette enveloppe dans l’univers. Le vestibulaire contribue, lui, à la sensation du mouvement et joue un rôle dans l’équilibre. C’est une des raisons pourquoi le trampoline est un endroit privilégié pour un autiste. Ces 2 sens jouent également un grand rôle sur les raisons qui poussent souvent les jeunes autistes à marcher sur la pointe des pieds.